La bienveillance en éducation
"La bienveillance en éducation", par Jacques Bernardin
(président du GFEN)
La bienveillance en éducation, ce n'est pas seulement faire preuve de bons sentiments. En effet, il ne suffit pas de vouloir le bien de l'autre pour le réaliser.
Jacques Bernardin, président du Groupe Français de l'Éducation Nouvelle, précise ci-dessous de quelle bienveillance il est effectivement question, et comment elle pourrait être mieux intégrée à notre action éducative.
Extraits (Article complet disponible en ligne ) :
" Famille, école, centre de loisirs, club sportif, activité associative, centre social... L'enfant est à la croisée de divers milieux éducatifs qui sont autant d'espaces pour se construire. Dans chacun de ces espaces, qui ont leur singularité et leurs propres modes de fonctionnement, la bienveillance éducative peut s'exprimer au niveau de la relation mais aussi des activités.
Au niveau de la relation : l'attachement, l'empathie, les attentes...
*L'attachement : c'est la relation privilégiée qui se tisse avec la mère, source directe de survie, lors de la prime enfance. Ce rapport d'attachement primaire semble être le prototype de tous les liens affectifs et sociaux ultérieurs.
*L'empathie : c'est « la capacité de ressentir les émotions, les sentiments, les expériences d'une autre personne ou de se mettre à sa place ».
Dans la relation éducative, cette attitude nécessite un effort de compréhension intellectuelle qui exclut cependant toute confusion entre soi et l'autre, tout mouvement affectif personnel ainsi que tout jugement moral. En effet, l'empathie n'implique pas de partager les sentiments ou les émotions de l'autre, ni de prendre position par rapport à elle. C'est ressentir de l'intérieur ce que provoque cette situation pour l'autre, s'efforcer de comprendre le cheminement intellectuel et la logique des erreurs des enfants / élèves, sans jugement.
*Les attentes : c'est la question du regard porté sur l'autre, ses possibilités.
Ainsi, les prédictions subjectives de l'enseignant sur ses élèves, positives ou négatives, influent de façon inconsciente sur son comportement, sur la nature des activités proposées (plus ou moins diversifiées et complexes) et sur sa façon de les conduire : niveau de sollicitation différent (type d'interrogation ; temps accordé à l'exploration, la recherche) ; réactions inégales aux propositions des élèves (retours plus ou moins précis et adaptés au contenu). Ces attentes s'expriment aussi au niveau du climat socio-affectif (attention, soutien verbal et non verbal, encouragements). Perçues par les élèves, ces attentes et ce traitement différencié influent en retour sur leur comportement et leurs performances objectives. C'est pourquoi on parle de prophéties auto-réalisatrices.
Tous capables ! Affirmons-nous au GFEN, comme défi au sentiment de fatalité. L'affirmation de la « capacité de tous les élèves à apprendre et progresser » est désormais inscrite dans la loi d'orientation. Reste à le mettre en acte au quotidien. L'éducateur, c'est celui qui attend le mieux de chacun, qui pousse à l'audace, à croire en ses capacités insoupçonnées. Belle illustration par Marcel Pagnol dans Le temps des amours (Roman Poche, 1988, p. 76) : « Dès que les professeurs commencèrent à le traiter en bon élève, il le devint véritablement : pour que les gens méritent notre confiance, il faut commencer par la leur donner ».
Les élèves fragiles ont une faible estime d'eux-mêmes (d'autant plus quand ils n'ont eu que des renvois à leurs erreurs et échecs plus qu'à leurs déplacements et progrès), ils ont intériorisé leur échec (passant du « j'ai eu zéro » au « je suis zéro »... glissement de l'appréciation du résultat au jugement personnel, du cognitif à l'identitaire). Majoritairement de milieux populaires, ces élèves ont souvent intégré le « sens de leur place » dans la société (qu'est-il légitime d'espérer pour des gens comme nous ?), sont victimes d'une autolimitation des possibles quant à leur avenir.
Croire en l'autre, c'est lui signifier que demain n'est pas écrit d'avance, que l'avenir lui appartient... s'il en décide ainsi ; c'est rendre chacun maître de son destin. Pour Henri Wallon, « Un regard qui scrute pour trouver la marque du manque impose à l'enfant un statut péjoré. Un regard qui ne cherche en l'enfant qu'un devenir instaure une dynamique de rencontre ». Mais ce regard positif sur l'enfant ne serait qu'une chimère s'il ne s'éprouvait pas dans la réalité des faits : c'est dire le rôle clé des pratiques à même de l'incarner, d'en témoigner, de l'étayer...
Au niveau des activités : quelle traduction de la « bienveillance » ?
Le débat sur la nouvelle organisation scolaire est une opportunité pour légitimer la pluralité des espaces éducatifs, spécifier leur place et rôles respectifs... et mettre leurs efforts en synergie. En guise de contribution au débat, déplions ce qu'on sait propice au développement :
*la richesse des situations vécues. Si la diversité des domaines d'activités investis est gage d'ouverture au monde, de développement de la curiosité et de la créativité, leur qualité dépend de leur ambition. Les projets, ce qu'on appelle au GFEN les situations défis sont autant d'occasions de multiplier les expériences de maîtrise, réussites qui sont sources de gratifications et de fierté. A contrario, habituer à des succès faciles, à des résultats immédiats ne renforce pas mais fragilise pour l'avenir, amène l'enfant à désinvestir trop rapidement ce qui « résiste ».
Autrement dit, pour « s'en sortir », il faut aller voir ailleurs, se laisser surprendre, oser autre chose. Et pour croire en soi, il faut dépasser ses limites, surmonter des obstacles, réussir ce qu'on estimait jusqu'alors impossible : expérience fondatrice qui peut faire bifurquer une vie.
*Le mode d'implication. Les travaux menés sur le rapport au savoir confirment les observations. Souvent, les élèves fragiles évitent ou font vite...mais mal (comme « pressés d'en finir ») ou sont passifs, dans l'attente que l'on fasse à leur place et leur fournisse la réponse. Ils imaginent qu'apprendre consiste essentiellement à « être sage », « bien écouter », dans un souci de « bien travailler » avec peu de repères sur ce que cela signifie. D'autres ont mieux saisi l'importance d'un engagement personnel, des essais et des reprises pour progresser[3].
Chaque instance éducative participe de ces façons de voir/concevoir l'apprentissage et peut contribuer à les faire évoluer. Quels repères pourrait-on se donner pour modifier ces postures ? D'abord, les inciter à s'investir personnellement, à prendre des initiatives, à chercher, à tenter... et à recommencer, à ne pas se décourager, à être persévérant. Pour y aider, plusieurs éléments contribuent à sécuriser l'espace de l'activité :
- le cadre de travail : clarifier ce qu'on va faire et pourquoi (structuré, structurant) ;
- le droit à l'erreur reconnu et légitimé : dédramatisation, parallèle avec d'autres apprentissages, analyse rétrospective (on apprend de l'analyse des erreurs) ;
- l'interdit de moquerie : « petits meurtres » psychiques, qui peuvent durablement blesser. A contrario, inciter le groupe à comprendre le pourquoi de tel propos ou erreur (s'efforcer d'entrer dans la logique de l'autre est formateur) ;
Face à l'impasse, l'échange entre pairs est un recours à la solitude désespérante. Le groupe est à la fois ressource et stimulation à aller plus loin. De la diversité des avis naît la nécessité de s'expliquer, d'argumenter, de chercher à convaincre, de prouver ce qu'on avance et donc aussi de « bouger » soi-même : abandonner son opinion première, aménager ou enrichir son point de vue, dans tous les cas, accroître sa maîtrise...
*La capacité de prise de distance. Faire à même bien à ne suffit pas. Encore faut-il faire un retour sur expérience pour en « tirer leçon ». Recul réflexif sur l'objet de l'activité et sur le cheminement suivi (obstacles, résistances, aides et appuis) pour passer du réussir au comprendre (faire spécifique de la prise de conscience), condition pour transférer d'une situation à l'autre, voire d'un domaine à l'autre.
Faire le point de là où on se situe dans la maîtrise des choses, c'est le rôle de l'évaluation. Mais au contraire d'un contrôle qui sanctionne et classe de façon hiérarchisée, une évaluation qui à comme son étymologie l'indique - « donne valeur » aux déplacements, permette à l'enfant de se situer dans une dynamique évolutive... et ainsi de pouvoir lui-même projeter l'objectif futur. Développer la capacité d'auto évaluation, c'est accroître l'autonomie."
Lien vers l'article en ligne : http://www.gfen.asso.fr/fr/bienveillance_education_jacques_bernardin_ser_2013
Jacques Bernardin (2013), Le rapport à l'école des élèves de milieux populaires, De Boeck.