Une heure de vie de classe pour améliorer durablement le climat scolaire
Entretien mené avec Armelle David, professeure de collège à Saint-Brieuc et formatrice-coordonnatrice du CASNAV
Au premier abord, votre expérimentation paraît anodine : vous avez simplement créé un temps de vie de classe. Mais pourquoi avoir créé ce temps de vie de classe, avant l'arrivée d'une élève allophone ?
En tant qu'enseignante dans plusieurs collèges, j'ai pu observer que l'accueil des élèves nouvellement arrivés dans leur classe n'était pas toujours suffisamment préparé. Le plus souvent, l'élève allophone est brièvement présenté à la classe le jour de son arrivée et l'on désigne un ou deux tuteurs pour l'aider à se repérer dans l'établissement. Si dans leur grande majorité les élèves sont accueillants et bienveillants avec leur nouveau camarade, il arrive aussi parfois que des EANA soient isolés, voire même mis à l'écart à cause de leur "différence" ou des difficultés de communication. A mon avis, l'inclusion scolaire, de même que les progrès dans la langue française et dans les apprentissages ne dépendent pas uniquement des enseignants de la classe, ni des seuls enseignants de FLS, mais aussi des élèves. L'enseignant peut jouer un rôle de médiateur entre la classe et l'EANA et ce rôle commence si possible avant l'arrivée de l'élève.
Même bienveillants, les élèves ne savent souvent pas comment communiquer avec un camarade allophone, cela nécessite un temps de réflexion préalable. Les élèves ont des représentations sur les EANA qu'il nous semble important d'écouter pour balayer d'éventuels clichés.
Vous avez tenté cette expérimentation pédagogique dans une classe de 6ème, c'est bien ça ?
Oui. Sachant qu'une élève de la République Démocratique du Congo allait être scolarisée dans ma classe de Sixième en français, j'ai consacré une heure de "vie de classe" à la préparation de son arrivée. Je retranscris ici des fragments du dialogue partagé avec mes élèves. Ils montrent les représentations que certains d'entre eux peuvent avoir :
"Nous allons bientôt accueillir dans notre classe I...qui vient du Congo (RDC).Savez-vous où se situe ce pays?
- En Afrique.
- Oui, et plus précisément?
- ???
(Projection d'une carte)
- Comment imaginez-vous ce pays?
- Les gens vivent dans des cases, comme dans Kirikou.
(Projection de photos dont quelques unes de Kinshasa d'où est originaire cette élève).
- Mais madame, c'est immense! C'est plus grand que Saint-Brieuc ! Y a des immeubles ! Je ne pensais pas qu'il y avait des immeubles en Afrique !
- Quelle langue parle-t-elle d'après vous ?
- L'africain.
- Non, pas "l'africain", pas plus qu'il n'existe l''européen" (...) Elle parle le lingala et elle a été initiée au français à l'école, dans la petite ville où elle habitait. Pourquoi le français est-il une langue officielle au Congo?"
(Très bref point sur la colonisation et la place du français après la décolonisation)
Nous avons ensuite découvert comment dire le mot "bonjour" en lingala pour pouvoir lui souhaiter la bienvenue. Puis, nous avons réfléchi ensembleaux difficultés que pourrait rencontrer leur nouvelle camarade à son arrivée, camarade qui "a été obligée de partir de son pays avec sa mère"(je n'ai bien entendu pas donné d'autres détails): l'éloignement de la famille, des amis, le nouvel environnement, le climat, la nourriture différente ont été évoqués...
L'objectif des échanges était d'amener les élèves à se décentrer, à se mettre à sa place. Je les ai également prévenus que sa tenue vestimentaire et sa coiffure seraient peut-être "différentes", que les modes sont très relatives selon les époques et les lieux, sans compter les goûts personnels ou encore les revenus des parents. Je pensais alors à plusieurs élèves rencontrées dans d'autres établissements m'ayant fait part de leur impression que l'on se moquait d'elles. Nous avons poursuivi en réfléchissant à la façon de communiquer avec une nouvelle élève qui ne connaît pas encore très bien le français.
Il m'a alors paru utile de préciser à tous que si elle ne connaît pas encore aussi bien le français qu'eux, elle n'était pas une élève qui ne "savait rien"...
Nous avons listé plusieurs possibilités :
- Le non verbal: le sourire, le rire, "faire la tête"...sont autant de signes très importants;
- Les mimes, les gestes, les dessins, les images (des élèves ont suggéré d'apporter une ardoise dans la cour pour dessiner dessus);
- Attention à bien articuler, ne pas parler trop vite.
- Parler simplement mais correctement (pas : "Toi aller self? );
- Des explications avec des mots simples (sensibilisation des élèves aux mots génériques ou aux synonymes);
- Les traductions (dictionnaire papier ou traductions en ligne);
- Le recours à l'anglais si elle a appris cette langue.
Désignation de tuteurs...
Enfin, nous avons explicité le rôle que chacun pouvait investir : guider dans l'établissement, aider à comprendre les cours, alerter les adultes du collège dès que nécessaire...
On le voit, cette expérience n'est pas une perte de temps. Bien au contraire. Pourriez-vous nous préciser en quoi elle a même été profitable pour tous les élèves de la classe ?
Comme nous l'avons vu, des élèves avaient un certain nombre de clichés en tête. Quel regard auraient-ils eu sur cette élève sans préparation à son arrivée? Quoi qu'il en soit, cette heure d'échanges a suscité chez les enfants une grande envie de faire connaissance avec la nouvelle élève (tout le monde voulait être son "tuteur" !). En ce sens, l'inclusion scolaire de cette élève a été favorisée. Grâce au soutien de ses camarades, l'élève s'est sentie plus à l'aise pour communiquer, travailler et progresser.
J'ai eu l'occasion de renouveler cette expérience avec un jeune albanais et une élève tchétchène. J'ai constaté de nouveau l'importance de situer d'abord ces pays avec la classe, de montrer des photos, d'amener les élèves à se décentrer et réfléchir aux moyens de communiquer avec leur camarade nouvellement arrivé.
J'ai remarqué que ce ne sont pas nécessairement les "premiers de la classe "qui font preuve d'initiative en matière de communication avec un élève venu d'un autre pays. Cela permet donc de valoriser aussi certains élèves plus "fragiles". Au cours de l'année, les élèves allophones ont fait une présentation de leur langue. Dans d'autres disciplines, ils ont pu ponctuellement parler de leur langue, d'un fait culturel... J'ai alors remarqué que les reformulations et explications de mots inconnus, que font les élèves francophones pour aider les nouveaux arrivants, pouvaient être très utiles à tout le monde !"
#ÉcoleInclusive #ClimatScolaire