5. Démarches et notions : permanences et nouveautés
Démarches et notions : permanences et nouveautés
Précision liminaire
Les articles qui vont suivre, tant en histoire qu’en géographie, constituent de courtes mises au point. Ils n’ont d’autre but que de présenter de façon synthétique et claire à la fois des démarches et des notions essentielles particulièrement présentes dans les programmes. Il va de soi qu’ils ne prétendent aucunement à l’exhaustivité. Ces articles sont donc davantage une invitation à un approfondissement épistémologique, historiographique, didactique et pédagogique, notamment à partir des quelques pistes bibliographiques proposées par certains d'entre eux. On constatera que ces notions et ces démarches pouvaient déjà être au cœur des précédents programmes (par exemple « habiter » en géographie). D’autres font en revanche l’objet d’un traitement plus affirmé dans les nouveaux programmes (« histoire mixte » par exemple en histoire).
De plus, il convient de rappeler tout l’intérêt de la consultation des dictionnaires, en histoire comme en géographie. Quelques exemples parmi d’autres :
Géographie
- Pascal BAUD, Serge BOURGEAT, Catherine BRAS, Dictionnaire de géographie, Hatier, 2013 (nouvelle édition).
- Jacques LEVY et Michel LUSSAULT (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Belin, 2013 (nouvelle édition revue et augmentée).
Histoire
- Christian DELACROIX, François DOSSE, Patrick GARCIA, Nicolas OFFENSTADT (sous la direction de), Historiographies, Concepts et débats, Gallimard, 2010.
- Claude GAUVARD et Jean-François SIRINELLI (sous la direction de), Dictionnaire de l’historien, Belin, PUF, 2015.
Enfin, on rappelle l’importance de la lecture des revues disciplinaires destinées aux professeurs et des sites en ligne. Deux exemples :
- La Documentation photographique.
- Le site Géoconfluences (ressources de géographie pour les enseignants)
Quelques notions au cœur des programmes de géographie
Habiter
Habiter, pour la philosophie d’Heidegger, est un processus de construction des individus et des sociétés par l’espace et de l’espace par l’individu, dans un rapport d’interaction : nous habitons l'espace et c'est pour cela qu'il nous habite.
On peut distinguer des modes d’habiter différents selon les pratiques des individus et des sociétés dans l’espace dans un contexte d’essor des mobilités et des interconnexions.
Schéma réalisé d'après les recommandations de la DGESCO – IGEN – Fiche Eduscol Habiter, 2009.
Extrait de Olivier Lazzarotti, "Habiter le Monde", Documentation Photographique n°8100 juillet-Août 2014 La dimension expérimentale du programme de 6e Aborder le programme de sixième en géographie par l'"habiter" en modifie fondamentalement l'approche. Cette entrée suggère que, au-delà de la diversité des situations locales, il peut y avoir un trait commun à toutes les géographies. Et sans les nommer, le concept d'"habiter" introduit les notions d'habitants et de cohabitation. Un peu difficiles en théorie, ces notions peuvent être simplement évoquées à partir de l'exemple de la classe et de l'expérience des élèves. Cette entrée pourrait être "l'exemple au choix" prévu par les textes. La classe, en effet, est un lieu universel et universellement reconnaissable. Partout un tableau, un bureau, des tables et des chaises, plus petites, qui leur font face. Partout une même logique, selon un dispositif qui, en lui, dit déjà l'état des relations entre l'un et les autres. Mais la classe est aussi un lieu de rencontres, de cohabitation entre un enseignant et des élèves dans le projet de transmettre et de recevoir des savoirs. Pourtant, chaque classe est différente parce que chaque groupe d'élèves et chaque enseignant(e) est singulier. Du reste, tout au long de l'année, on peut faire observer les changements de place des uns et des autres. Pour un élève, se placer c'est privilégier la distance à l'enseignant, la possibilité d'être plus près ou plus loin, etc., ce qui évolue dès que ce dernier quitte son bureau pour pratiquer l'ensemble de la classe. Pour un autre, ce qui jouera avant tout sera le choix du voisinage, se rapprocher des uns ou des autres, etc. Chaque élève est ainsi un habitant, faisant des choix qui se réfléchissent dans la place qu'il occupe. Une démarche similaire peut être suivie pour les autres aspects du programme. Des espaces connus et reconnus, lieux communs de la géographie de tous : des villes, des campagnes, des littoraux, etc. Et toujours les mêmes évidences qu'il s'agit de décrire et de nommer : les immeubles, les rues, les champs, les mers, l'altitude, etc. Et au-delà, toujours, des habitants et des cohabitations. Du point de vue des densités, des diversités ou des mobilités qu'il s'agit d'étudier en détail, quelles différences y a-t-il entre villes et campagnes, littoraux et montagnes, sont-elles toujours aussi absolues... Existe-t-il des villes ou des manières urbaines d'habiter le Monde? Des montagnes ou des manières montagnardes d'habiter le Monde ? |
Pour aller plus loin :
Habiter, concept novateur dans la géographie scolaire ? Annales de géographie, 2015/4 (N° 704)
Catherine Biaggi, Inspectrice générale de l’Éducation nationale, ministère de l’Éducation nationale, Groupe histoire et géographie
L’article vise à caractériser la place de l’habiter dans la géographie scolaire, à identifier le moment et la manière dont la notion a été intégrée dans les programmes de collège, dans une sorte de « making of » du processus de leur élaboration, à travers un récit de l’auteur, membre du groupe d’experts ayant fabriqué les programmes. Mais le propos cherche également à travers cette expérience à rendre compte du travail de transposition du concept d’habiter, opéré entre champ académique et champ scolaire. Ce récit tente, dans sa partie finale une sorte d’état des lieux de la prise en compte de l’habiter dans la géographie enseignée, à travers l’examen des démarches et des pratiques actuelles.
• Article en téléchargement libre sur le site de l’académie de Paris : https://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p2_1357019/habiter-concept-novateur-dans-la-geographie-scolaire
Prospective territoriale
Attention : la prospective n'est en aucun cas un exercice d’imagination pure, hors réalité géographique d’aujourd’hui. Ce n’est ni de la science-fiction, ni du futurisme artistique prônant une civilisation urbaine et moderne. La prospective est de la géographie.
« La géographie est la science de ce qui existe, et non de ce qui n’existe pas »
Catherine Biaggi, Inspectrice générale de l’Éducation nationale, ministère de l’Éducation nationale, Groupe histoire et géographie.
D’après Enjeux de la prospective territoriale, 2013. Laurence Barthe, Département de géographie et aménagement Université Toulouse 2, Membre de l’équipe Territoires 2040 de la DATAR.
• La prospective n’est pas de la prévision et encore moins de la prédiction… mais une démarche d’exploration d’un système visant la construction de scénarii possibles.
• C’est « une autre façon » de lire ou d’observer un territoire visant une projection des acteurs à travers une relecture du passé et du présent.
• Une démarche d’approfondissement du regard par le prisme de facteurs réels de changement et de signaux encore faibles + co-construction collective d’hypothèses sur le futur
C’est une démarche géographique pour…
• Analyser de façon approfondie une réalité,
• Repérer les facteurs de changement (mondialisation, urbanisation, accentuation des mobilités, accélération des temporalités, consommation des ressources naturelles, changement climatique, décentralisation, mutations économiques, restructurations des services publics et de l’État)
• Anticiper les changements, réagir aux changements, devancer les changements
• Élaborer collectivement les discours du futur
• Transformer la vision d’un futur souhaitable en processus collectif :
• Prospective = concevoir des futurs possibles pour mieux agir et se positionner dans le présent
Fiche Ressource Eduscol - Géographie 1ère (extrait) France et Europe : dynamiques des territoires dans la mondialisation - Notions générales et principes de mise en œuvre Obligation pour les aménageurs décrire les perspectives de développement d’un territoire dans le moyen terme = horizon de deux ou trois décennies (voire davantage). Prospective = imaginer les avenirs possibles du territoire (scénarios exploratoires) → représentations partagées, hypothèses collectives sur le futur. Prospective = vision non de ce qui va se passer, mais seulement ce qui pourrait se passer. |
• Pour la DATAR, 1991
« La prospective est une démarche globale, interdisciplinaire qui a pour mission de rendre compte de la situation passée et présente, de formuler les questions clés du devenir, de repérer et de dessiner les futurs possibles, de les confronter avec les buts que s'assignent ceux à qui elle s'adresse et avec les contraintes existantes de suggérer les procédures et les actions appropriées pour transformer celles-ci en projets collectifs, pour permettre aux décideurs de choisir en connaissance de cause »
• Pour Gaston Berger, Dans Méthodes et résultats (1960)
« La prospective n'est ni une doctrine, ni un système. Elle est une réflexion sur l'avenir (...) issue de nos problèmes les plus pressants, nourrie de notre inquiétude la plus authentique, la prospective n'est pas simplement l'expression d'un intérêt gratuit que nous porterions à l'avenir, sans nous arracher pour autant à nos habitudes. Elle ne vise pas à satisfaire notre curiosité, mais à rendre nos actes plus efficaces. Elle ne veut pas deviner, mais construire. Ce qu'elle préconise, c'est (...) une attitude pour l'action. Se tourner vers l'avenir, au lieu de regarder le passé n'est donc pas simplement changer de spectacle, c'est passer du « voir » au « faire ».
• En définitive, la prospective territoriale est une démarche (de projet) qui…
1. Analyse la situation géographique d’un territoire : constatation
2. Repère les dynamiques en cours, et les facteurs de changement : tendances
3. Anticipe l’évolution ces dynamiques sous plusieurs scénarii : tendances poussées à moyen terme (20-30 ans)
4. Transforme la vision collective d’un futur possible : prise de conscience
5. Met en valeur l’action présente des citoyens sur leur territoire (la géographie est une force de proposition, elle fournit des outils intellectuels aux élèves et les prépare à la prise de responsabilité = géocitoyenne) : engagement
La géohistoire
« La géohistoire, c’est l’idée qu’on ne peut pas comprendre quelque configuration historique que ce soit sans la localiser par rapport à d’autres, et que réciproquement, on ne peut pas comprendre une configuration géographique sans lui donner une dimension historique. L’histoire et la géographie, de mon point de vue, ne sont qu’une seule et même chose. » Christian Grataloup, Penser autrement l’histoire du monde. http://blog.passion-histoire.net/?p=9626
Source : Séminaire de l’Inspection Générale d'HG pour la mise en œuvre des nouveaux programmes d’histoire géographie, 2016.
• La géohistoire, c’est…
- Mettre en interaction constante l’espace et le temps des sociétés pour comprendre la complexité du Monde.
- Une étude géographique des processus historiques.
- Mobiliser les outils du géographe pour composer une explication des événements et des périodicités.
« Un mouvement entre le champ de l’histoire et de la géographie, entre les lieux et les époques, une manière de refuser le cloisonnement disciplinaire » Vincent Capdepuy
- Ce n’est pas de la géographie historique
• Pourquoi la géohistoire ?
- Pour Chritian Grataloup : « Les histoires relèvent donc, comme tout le social, de l’analyse spatiale, avec des effets de proximité, d’interaction spatiale, et d’éloignement, d’autonomisation des processus (chap. 3). Toute société a, pour partie, l’histoire de ses voisins et même, mais de manière plus médiate, des voisins de ses voisins. »
> Pour interroger :
- La finitude du monde : des espaces de conquêtes toujours repoussés (processus géohistorique millénaire)
- Des dynamiques systémiques : le changement global et les tensions (climat, ressources, risques, etc.)
- Les interdépendances : sociétés / globe terrestre
- La croissance démographique : un enjeu majeur
- La question du développement et de sa durabilité
- La gouvernance : une urgence
- Analyses à différentes échelles des territoires pour comprendre le monde, se l’approprier (Michel Lussault) : enjeu citoyen (culture commune, s’insérer dans le temps long de l’humanité, comprendre un espace social) Importance des cartes
Le changement global
• Géographie pas d’entrée par une vision environnementaliste (voire catastrophiste)
• Pour les élèves l'entrée par les risques est la plus facile
• Mais le changement global n’a pas que des effets sur les occurrences d’aléas (phénomènes naturels extrêmes, notamment en raison du réchauffement climatique) mais aussi sur la vulnérabilité des populations (urbanisation, littoralisation, déforestation).
Changement global = changements dans le monde entier provoqués, modifiés ou amplifiés par l’activité humaine, et qui augmentent les risques pour les sociétés. Ces changements concernent aussi bien la forte probabilité d'un événement extrême (naturel ou d'origine humaine), que la plus forte vulnérabilité des sociétés liée par exemple à l'urbanisation, la déforestation, ou la concentration des hommes et des activités sur le littoral.
Extraits : Michel Lussault, L’avènement du Monde. Essai sur l’habitation humaine de la Terre, 2013. Chapitre V - La catastrophe, assurément Un Monde urbain, mobile et connecté s'est donc imposé, en quelques décennies, comme une nouvelle organisation de l'habitation humaine de la Terre. Plus encore, pour la première fois depuis l'enclenchement de l'anthropisation de la planète, les formes de vie sociale mondialisées que nous avons collectivement instaurées semblent ne plus être vraiment sous contrôle. La crainte d'une sorte d'emballement nous saisit : comme si la puissance même du Monde devenait la principale menace que les humains auraient désormais à affronter, une puissance qui pourrait aller jusqu'à détruire cet œcoumène terrestre, notre habitat commun. En un étrange paradoxe, au moment même où l'avènement du Monde est enfin explicite pour chacun, la reconnaissance de sa fragilité s'impose comme une évidence. Il me semble donc indispensable d'analyser cette tension constitutive de notre moment contemporain. Le Monde paraît bien posséder un tropisme d'un genre particulier : une part non négligeable de ses énergies semble converger vers l'attracteur de la catastrophe, du désastre, de la destruction, du chaos, de l'accident, du péril, de la disparition, de la ruine. Les conditions de possibilité qui assurent qu'un fait, un aléa « naturel » (un séisme, un tsunami, une inondation, une canicule, une sécheresse) et/ou social (une décision de décréter une guerre, d'enclencher une mobilisation sanitaire) se muent en désastre d'une ampleur globale résident dans l'état du Monde du moment. D'ailleurs, chaque jour, des accidents, drames, collapsus touchent durement un groupe humain sans devenir un événement catastrophique mondial. De tels événements s'inscrivent toutefois dans une tendance générale. Ils frappent les esprits dans les sociétés concernées, y nourrissent des peurs. Toutefois, il serait faux de ne tenir le catastrophisme ambiant que pour un artefact médiatique. On incriminerait alors un symptôme sans voir qu'il manifeste vraiment une inquiétude prenant une importance grandissante depuis une trentaine d'années. Le postulat de base est que le réchauffement climatique augmente les risques pour les sociétés humaines de souffrir d'aléas naturels de plus en plus violents. Mise en scène de la culture de la peur, de l'alerte, ici utilisée par une institution onusienne pour convaincre les pays membres qu'il faut agir sans délai. La peur crée bien sa propre réalité, installe un discours de vérité univoque, sans ambiguïtés : le réchauffement d’origine anthropique est par principe catastrophique et il n'est pas à venir, il est déjà là, comme le montrerait l'inflation de désastres depuis 2000. Vision catastrophiste du Global Warming, illustré par une citation de Ban Ki-moon, le Secrétaire général de l'ONU, UNISDR 2009 : « The risk of disaster touches every woman, man and child on Earth. » Tout prend la forme de l'évidence statistique, non contestable. Il n'y a pas de possibilité à partir de ce type de publications de lancer un débat, non pas tant au sujet du rôle de l'anthropisation de la planète dans le processus d'évolution des climats, ce qui est une question réglée, mais plutôt au sujet des raisons de l'importance croissante des occurrences d'événements repérés et de leurs conséquences, importance qui est ici imputée à la seule conséquence mécanique du changement climatique. Pourtant, on pourrait nuancer et avancer des explications simples. L'urbanisation du Monde augmente sensiblement l'impact des « risques naturels », séismes compris, en augmentant les surfaces bâties et en regroupant des populations dans des périmètres exposés fortement à des aléas (notamment dans les pays émergents et en développement). Ce qui peut expliquer la croissance de l'occurrence de désastres recensés depuis l'an 2000. Notamment ceux liés à l'inondation : de très nombreuses aires urbaines se développent à proximité de fleuves et rivières et s'étendent, fréquemment sans contrôle, dans des zones inondables. Mais aussi ceux causés par les ouragans et tempêtes, car la position littorale de grands amas urbains en forte croissance, notamment dans les secteurs de déplacement des typhons et des tempêtes tropicales, constitue un facteur explicatif. |
Littoralisation et maritimisation
Du problème des définitions…
On met souvent littoralisation et maritimisation sur le même plan. De fait, de nombreux manuels, mais aussi certains dictionnaires, proposent la définition suivante :
Littoralisation (ou maritimisation) : « Processus de concentration des populations et des activités humaines le long ou à proximité des littoraux ».
Il va de soi que littoralisation et maritimisation s’inscrivent dans une thématique et une approche communes et complémentaires (les flux maritimes sont au cœur de la mondialisation et renforcent la littoralisation). Pour autant, les deux termes ne sont pas synonymes, notamment au regard de l’évolution des processus de la mondialisation mais aussi de la part croissante des enjeux liés aux espaces maritimes. Il s’agit donc de préciser un peu les choses et de dégager deux définitions :
Littoralisation : processus de concentration des populations et des activités humaines le long ou à proximité des littoraux. La littoralisation est liée à la mondialisation de l’économie, mais aussi à l’attractivité des littoraux en matière de tourisme ou de conditions de vie.
Maritimisation (définition donnée par le site Géoconfluences) : « La maritimisation est un processus d'accroissement des échanges internationaux par voie maritime qui s'accélère depuis les années 1970. En effet, le trafic maritime mondial est passé de 2,6 milliards de tonnes en 1970 à 8.7 milliards de tonnes en 2011. Quand le taux de croissance de l'économie mondiale se situe autour de 3 % en 2009, la croissance des flux commerciaux s'élève à 5 % et celle du transport maritime à 7 %. L'abaissement du coût et des temps du transport maritime est à l'origine du binôme maritimisation / mondialisation des échanges. Le gigantisme des navires et la révolution du conteneur en sont les outils techniques décisifs.
Mais la maritimisation ne se résume pas à la question des transports maritimes. Les mers et les océans font figure de « dernière frontière » du monde contemporain ce qui donne à la maritimisation un volet géopolitique et géostratégique.
L'importance du processus global de maritimisation n'exclut pas la démaritimisation de certains lieux. Ainsi, A. Vigarié a parlé de la démaritimisation des villes-ports en Europe du Nord-Ouest, liée à la diversification de leur économie ».
Cette définition élargit donc le champ de l’analyse, sachant de surcroît que les espaces maritimes occupent 71% de la surface de la Terre.
La fiche ressource du nouveau programme de géographie (4e) précise d’ailleurs les choses clairement (thème 3 : des espaces transformés par la mondialisation, sous-thème : mers et océans : un monde maritimisé) : « Le premier enjeu est de regarder la mondialisation depuis la mer et pas uniquement depuis les littoraux. Ainsi, 80 % des échanges mondiaux sont réalisés par voie maritime le long d’itinéraires et de routes stables empruntés par des flottes de plus en plus puissantes alors que les espaces maritimes fournissent un tiers des hydrocarbures. Certains lieux de passage occupent une place stratégique (détroits et canaux). Ces phénomènes entraînent une très forte, mais encore bien inégale, maritimité des espaces terrestres (degré de dépendance au fait maritime d’un espace donné, mais aussi degré d’anthropisation des espaces maritimes). Surtout, on assiste aujourd’hui à la maritimisation d’un nombre croissant d’États littoraux qui se tournent de plus en plus vers la mer pour des raisons géoéconomiques et géopolitiques. Ils se dotent des moyens leur permettant d’affirmer leur souveraineté territoriale (zones économiques exclusives), la mise en valeur de leurs richesses maritimes et leur intégration aux échanges mondiaux. Cette territorialisation des espaces maritimes et la projection des politiques de puissance des grands États, qui sont tous des puissances maritimes et navales, sont parfois génératrices de tensions, voire de conflits. » |
Sur ce thème, on consultera avec profit :
• Tristan Lecoq et Florence Smits (dir.), Enseigner la Mer, Rennes, Canopé, 2016.
• Antoine FRÉMONT et Anne FRÉMONT-VANACORE, Géographie des espaces maritimes, La Documentation photographique, mars-avril 2015, dossier n°8104, 64 p.
Parties des programmes de géographie où littoralisation et maritimisation apparaissent tout particulièrement :
Niveau 6e : Thème 3 - Habiter les littoraux
- Littoral industrialo-portuaire, littoral touristique.
Niveau 4e : Thème 3 - Des espaces transformés par la mondialisation
- Mers et Océans : un monde maritimisé.
- L’adaptation du territoire des États-Unis aux nouvelles conditions de la mondialisation.
Ne pas oublier non plus le programme de Terminale L/ES (ainsi que le programme de TS) :
Thème 2 : les dynamiques de la mondialisation / Question : les territoires dans la mondialisation
Mise en œuvre : Une ville mondiale (EDC) / Pôles et espaces majeurs de la mondialisation ; territoires et sociétés en marge de la mondialisation / Les espaces maritimes : approche géostratégique.
Les démarches de la géographie scolaire
Géographie savante et géographie enseignée.
• Les programmes intègrent les mutations de la géographie devenue une vraie science sociale.
• Sociétés, territoire, échelles, organisation, aménagement, environnement sont les concepts structurants d’une géographie scolaire renouvelée depuis 2008.
• Un des fondements du raisonnement géographique = le maniement du raisonnement multiscalaire
• Attention renouvelée aux acteurs et territoires → les études de cas, qui réévaluent le rôle des acteurs et s’appuient sur les territoires = démarche la plus pertinente
• Intérêt croissant pour le vécu, le perçu → enrichissement de la notion de territoire (Habiter).
Deux démarches essentielles du raisonnement géographique
• La démarche multiscalaire : Mettre au centre des préoccupations la prise en compte de l’échelle à laquelle un phénomène se déroule et s’observe, du local au mondial.
• La démarche inductive de l’étude de cas : tout en offrant l’occasion d’une géographie opératoire et active, elle favorise cette réflexion multiscalaire et fait entrer les élèves dans le raisonnement géographique.
L’étude de cas
La démarche inductive part des faits (le concret) pour aller à la théorie (l’abstrait).
• Elle se traduit dans les programmes du collège et du lycée par le recours à l’étude de cas.
• L’étude de cas est donc toujours placée en tête de séquence.
• Elle se termine par une mise en perspective.
• L’EDC est conséquente : 2/3 du volume horaire (MEP 1/3)
• L’EDC ne doit pas avoir la même ampleur qu’au lycée → corpus documentaire < à 5 documents au collège
• Variété et accessibilité des documents pour les élèves.
• Tous les outils de la géographie sont mobilisés (photos, cartes, documentaires, articles de presse...).
• Les objets du quotidien (plan de ville ou des réseaux de transport, guide touristique…) ont leur place.
La mise en perspective…
…vise à clore l’enquête. Les hypothèses soulevées par l’EDC sont vérifiées par des documents et par l’intervention du professeur.
…est essentielle pour structurer le raisonnement géographique et fixer les acquis des élèves.
…par la démarche multiscalaire conduit à rechercher la portée globale des faits abordés en essayant de les généraliser et à prouver la justesse du raisonnement.
…le passage à l’abstraction rendu possible par la synthèse écrite finale qui peut prendre des formes variées (croquis, schéma, organigramme, tableau, rédaction…).
…d’aborder très tôt la complexité géographique par le passage guidé et progressif d’une multicausalité (un faisceau de facteurs aboutit à l’effet spatial) à une mise en système (l’effet spatial est le produit de phénomènes en interrelation).
…la mise en évidence des enjeux (enjeux = qu’est-ce qu’on peut perdre ou obtenir dans des choix, dans des actions, des politiques sur l’espace concerné, quelle que soit son échelle).
…les enjeux révèlent le rôle des acteurs, leurs intérêts, leurs représentations et les relations de pouvoir.
…élaboration de scénarios pour le futur par le biais d’aménagements → elle peut être prospective.
→ La MEP est un temps privilégié pour l’acquisition de la compétence Raisonner, justifier une démarche et les choix effectués
→ La MEP doit construire les grands repères géographiques (« Se repérer dans l’espace »)
Et encore, très rapidement...
Métropolisation
Processus qui affecte la ville et qui se manifeste par une concentration au bénéfice des lieux les plus forts ; il traduit les impacts de la mondialisation sur les espaces urbains et s’inscrit dans un processus général d’urbanisation, où les logiques économiques l'emportent devant le facteur de la croissance démographique.
Le processus est multiscalaire : à l’échelle mondiale, il tend à renforcer les hiérarchies urbaines en faveur des grandes villes ; à l’échelle métropolitaine, on assiste à des dynamiques sociales et spatiales différenciées de fragmentation et de ségrégation.
Métropolisation ≠ synonyme d’urbanisation (Métropolisation = la concentration des hommes et des activités) et expliquer quelles activités particulières se concentrent dans les métropoles et pourquoi.
Mondialisation
Ensemble des processus (socio-économiques, culturels, technologiques, etc.) facilitant la mise en relation des sociétés du monde entier.
Christian Grataloup : « la mondialisation est un processus de généralisation des échanges entre les différentes parties de l’humanité, entre les différents lieux de la planète. »
Laurent Carroué insiste sur le fait qu’on ne peut aborder le concept de mondialisation sans tenir compte du territoire (avec sa dimension historique, ses héritages) et de la société (des hommes qui aménagent, transforment l’espace). La mondialisation valorise de manière différenciée les territoires et produit de nouvelles singularités, des oppositions territoriales.
Territoire
Le territoire est une construction sociale. C’est un espace approprié par un groupe de façon réelle ou symbolique et qui est souvent organisé, dirigé et aménagé en fonction de ses besoins, de ses valeurs.
Dimension identitaire : représentations, appropriations
Dimension matérielle : aménagements, activités économiques → structurent l’espace
Dimension organisationnelle ou politique : gestion, relation de pouvoir, lois
Pauvreté
Pauvreté : Pour Amartya Sen un individu est pauvre quand il ne possède pas la liberté d’atteindre un niveau minimal de bien-être (se nourrir, avoir un bon niveau d’éducation ou participer à la vie de la communauté). Le revenu (l’argent) ne constitue plus qu’un élément parmi d’autres du bien-être individuel.
Amartya Sen développe une approche par la « capabilité » ou la liberté positive, c'est-à-dire la capacité d'une personne à être ou à faire quelque chose, à pouvoir choisir sa vie
→ Développement humain = un ensemble de libertés réelles qui lui permettent d’exploiter ses capacités et d’orienter son existence.
Risques
Risque = combinaison de l’aléa et de la vulnérabilité. Il mais notion générale mal définie matérialisée par l’équation : risque = aléa x vulnérabilité
Aléa = probabilité d’occurrence d’un phénomène, mais le concept est beaucoup + complexe qu’il n’y paraît. Il est fonction de l’intensité du phénomène, de son occurrence, mais également de la durée considérée et de l’espace pris en compte.
Vulnérabilité = plus ou moins grande fragilité d’une société face à un risque. L’inégale vulnérabilité des sociétés face aux risques, qui est fonction de leur niveau de développement.
Quelques notions au cœur des programmes d'histoire
World history/ Histoire globale/Histoire connectée
Trois courtes définitions extraites de :
Patrick BOUCHERON, Inventer le monde. Une histoire globale du XVe siècle. La documentation photographique, dossier n°8090, novembre-décembre 2012, p. 6.
World history : courant historiographique d’inspiration anglo-saxonne, né dans le sillage des travaux pionniers de William McNeiIl sur l’histoire, en longue durée, de l’emprise occidentale sur le monde. Elle se développe dans les années 1980 en tentant une synthèse entre l’histoire braudélienne de l’économie-monde et l’approche comparée des civilisations.
Global history ou histoire globale : comme la world history avec laquelle elle se confond fréquemment, la global history prend le monde pour objet, mais en mettant l’accent sur tous les phénomènes d’interaction qui produisent de la globalisation (commerce, migrations, guerres etc.). D’autres historiens se risquent même à une big history qui prend l’univers pour échelle et croise les méthodes des sciences physiques.
Histoires connectées : renonçant à l’échelle du global, certains historiens –à la suite notamment de Sanjay Subrahmanyam et de Serge Gruzinski – cherchent à aborder les mêmes enjeux de l’histoire du monde, mais à partir d’une exploitation intensive des archives du contact entre deux civilisations, localement denses. L’étude des connexions et des métissages, mais aussi parfois des incompréhensions entre groupes humains est le programme de ce courant qu’on appelle aussi l’histoire croisée.
Petite bibliographie commentée :
Quelques historiens français :
- Patrick BOUCHERON, récemment élu au Collège de France, spécialiste du Moyen Age et de la Renaissance, particulièrement de l’Italie.
- Patrick BOUCHERON (dir.), Histoire du monde au XVe siècle, Paris, Fayard, 2009, réédition en deux volumes, Hachette, Pluriel, 2012.
- Patrick BOUCHERON, Inventer le monde. Une histoire globale du XVe siècle. La documentation photographique, dossier n°8090, novembre-décembre 2012.
- Fernand BRAUDEL a évidemment eu un rôle préfigurateur essentiel, notamment à travers cet ouvrage devenu classique :
- Fernand BRAUDEL, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle, 3 volumes, Paris, Armand Colin, 1979.
- Olivier GRENOUILLEAU, spécialiste de l’histoire de l’esclavage, Inspecteur général de L’Education nationale :
- Olivier GRENOUILLEAU, Les traites négrières. Essai d’histoire globale, Folio histoire, Gallimard, 2004, 733 p.
- Olivier GRENOUILLEAU, Qu'est-ce que l'esclavage ? Une histoire globale, Gallimard, 2014, 410 p.
- Serge GRUZINSKI a reçu un prix prestigieux en lien avec la mondialisation actuelle de l’histoire : le grand prix international d’Histoire lors du 22ème congrès international de sciences historiques (ICHS) à Jinan en Chine.
- Serge GRUZINSKI, Les quatre parties du monde. Histoire d’une mondialisation, Paris, La Martinière, 2004.
Cette courte bibliographie n’aurait évidemment aucun sens à rester franco-centrée. Voici donc quelques historiens et ouvrages :
- Jared DIAMOND s’est dès la fin des années 80 intéressé à l'histoire de l'environnement. Il est professeur de géographie à l'UCLA. Il est notamment connu pour ses ouvrages de vulgarisation scientifique.
- Jared DIAMOND, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Gallimard, NRF Essais, 2006. Jared Diamond interroge dans cet ouvrage de manière radicale les rapports des sociétés humaines à leur environnement.
- Yuval Noah HARARI. Ce professeur d’histoire à l’université hébraïque de Jérusalem est devenu un véritable phénomène d’édition avec cet ouvrage décapant, iconoclaste et discuté à la fois :
- Yuval Noah HARARI, Sapiens. Une brève histoire de l’humanité, Albin Michel, 2015.
- Sanjay SUBRAHMANYAM, professeur, entre autres, au Collège de France (il a été élu en 2013 et occupe la chaire d'histoire globale de la première modernité). Il a publié une biographie de Vasco de Gama qui a fait couler beaucoup d’encre lors de sa parution. Avec cette histoire connectée, il s’inscrit notamment contre la thèse culturaliste de l’avantage inné des Européens et insiste sur la contingence des conquêtes européennes sans pour autant sombrer dans le relativisme.
- Sanjay SUBRAHMANYAM, Vasco de Gama : légendes et tribulations du vice-roi des Indes, Paris, Alma, 2012 (éd. or., 1997).
- Immanuel WALLERSTEIN figure parmi les auteurs qui, sur la base des travaux de Karl Marx et Fernand Braudel, ont construit ont une vision du capitalisme sur le long terme. Le principal de ses apports consiste dans l’introduction du concept de système-monde.
- Immanuel WALLERSTEIN, Le système monde du XVe siècle à nos jours, tome 1, Capitalisme et économie-monde, 1450-1640, traduction française, Paris, Flammarion, 1980.
World history, histoire globale et histoire connectée dans les programmes :
- Introduction du programme d’histoire du cycle 4 : « Le programme invite les élèves à découvrir l’histoire des rapports des Européens au monde, les connexions entre économies, sociétés et cultures, l’histoire des relations internationales. »Parties des programmes d’histoire où World history, histoire globale et histoire connectée apparaissent plus particulièrement :
Classe de sixième |
Classe de 5ème |
Classe de 4ème |
Classe de 3ème |
Thème 1 - La longue histoire de l’humanité et des migrations
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Thème 1 - Chrétientés et islam (VIe-XIIIe siècles), des mondes en contact
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Thème 1 : Le XVIIIe siècle. Expansions, Lumières et révolutions
(« on peut à cette occasion replacer les singularités de la Révolution française dans le cadre des révolutions atlantiques ») |
Thème 1 - L'Europe, un théâtre majeur des guerres totales (1914-1945)
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Thème 3 - L’empire romain dans le monde antique
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Thème 3 - Transformations de l’Europe et ouverture sur le monde aux XVIe et XVIIe siècles
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Thème 2 - L’Europe et le monde au XIXe siècle :
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Thème 2 - Le monde depuis 1945
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Histoire des femmes, histoire du genre, histoire mixte.
Petite précision préalable. Ce résumé doit beaucoup à l’article suivant :
Michelle ZANCARINI-FOURNEL, Histoire des femmes, histoire du genre dans C. DELACROIX, F. DOSSE, P. GARCIA, N. OFFENSTADT, Historiographies, Concepts et débats, Gallimard, 2010, P. 208-219.
Histoire des femmes.
L’histoire des femmes est née aux Etats-Unis et a émergé en France après 1968 et dans le contexte de la naissance du MLF. Les premiers cours sur ce sujet débutent en 1973, par exemple à Paris7-Jussieu à l’initiative de Michelle Perrot, Fabienne Bock et Pauline Schmitt-Pantel avec un séminaire intitulé « Les femmes ont-elles une histoire ? » Une dizaine d’années plus tard, la question se précise dans un premier bilan historiographique : les actes d’un colloque tenu à Saint-Maximin sont publiés en 1984, sous le titre Une histoire des femmes est-elle possible ?
L’histoire des femmes a d’abord été une « histoire au féminin ». Dans le contexte historiographique de domination de l’histoire économique et sociale, les premières recherches en histoire des femmes s’intéressent au mouvement ouvrier et au rapport entre travailleurs et travailleuses. Ensuite se développe une histoire du travail féminin, centré sur la division sexuelle et sociale du travail et la surexploitation des femmes (textile etc.). Dans le même temps, lié au structuralisme, se développe une anthropologie historique qui cherche dans l’espace français les structures et les invariants formalisés pour les sociétés exotiques. Autour du corps des femmes, de l’histoire de l’accouchement, de la maternité, fleurissent des études qui prennent en compte la longue durée (Mireille Laget sur l’histoire de l’accouchement). On débouche progressivement sur une histoire moins économique et plus culturelle.
De nouvelles sources sont mobilisées (orales, matérielles). Mais les sources écrites classiques ne sont pas aussi muettes sur les femmes qu’il est souvent dit et écrit.
Dans la deuxième moitié des années 80, les travaux concernent de plus en plus les rapports sociaux du sexe. Est surtout posée la question des pouvoirs. S’éloignant du chemin connu de la domination et de l’oppression, les recherches abordent les thèmes du consentement, de la ruse, du désir et de la séduction, donc des rapports complexes entre les deux sexes, dans le cadre de la famille ou des espaces privés. Dans le sillage de Michel Foucault, la question des pouvoirs remet sur le devant de la scène une histoire politique, en particulier l’histoire du féminisme.
Histoire des genres.
Françoise Thébaud a fait partie de celles qui ont acclimaté le concept, faisant comprendre qu’il existe une « construction sociale et culturelle du sexe », qu’il est trop simple de se référer à une essence, ce que Simone de Beauvoir avait résumé dans cette formule : « On ne naît pas femme, on le devient. » Ce terme venu d’outre-Atlantique (Gender) a été défini ainsi en 1986 par Joan Scott : « le genre est un élément constitutif des rapports sociaux fondé sur des différences perçues entre les sexes et le genre est une façon première des signifier les rapports de pouvoir ». On a donc une façon d’appréhender la construction du féminin et du masculin, une histoire relationnelle du rapport homme/femme articulée avec les notions de pouvoir et de domination. Le terme de « genre » est préféré à celui de « femmes » car la discipline étudie le rôle attribué à la différence sexuelle plus qu'à cette différence proprement dite. L'histoire du genre étudie ainsi également les hommes.
Ollivier Hubert (Université de Montréal) fait une mise au point éclairante sur la Gender History.
Ce passage correspond à quelques extraits de son article : « Féminin/masculin : l’histoire du genre » => https://www.erudit.org/revue/haf/2004/v57/n4/009638ar.html
La gender history est d’abord un phénomène étasunien, qui repose sur une distinction, ancienne dans la recherche anglo-saxonne, entre le sexe comme caractéristique physiologique et le genre comme ensemble de traits comportementaux et de conventions sociales arbitrairement construites sur la base de la différence sexuelle. L’histoire du genre n’est pas une appellation neuve de l’histoire des femmes, pas plus qu’elle n’est une histoire des femmes et des hommes. Elle est plutôt une histoire des représentations bipolaires du monde et, secondairement, de l’incorporation de ces représentations par les acteurs sociaux. Il s’agit donc d’une posture essentiellement relativiste, qui postule la construction culturelle et historique des identités sexuées et plus généralement le caractère particulièrement prégnant de la division du monde sur la base d’un partage entre ce qui est réputé masculin et ce qui est réputé féminin. On aperçoit vite les multiples possibilités ouvertes par cette idée. La distribution masculin/féminin fonde non seulement, de manière évidente, les rapports sociaux hommes/femmes (ou hommes/hommes, ou femmes/femmes), mais plus fondamentalement elle semble instaurer une véritable symbolique du monde. C’est en fait, selon la théorie, cette vaste pénétration de la symbolique générale par une opposition fondée sur une distinction biologique particulière qui la rend si efficace à instituer et à reproduire un ordre sexué du monde social. Infiltrées dans les manières de faire et les manières de dire, dans les diverses imaginations humaines (artistiques, scientifiques, religieuses), les coutumes et les histoires, la dichotomie masculin/féminin et la norme comportementale qu’elle définit s’imposent aux individus avec la force d’une évidence. C’est donc l’impersonnel et constant processus qui consiste à rendre naturelles un ensemble de conceptions culturelles que l’histoire du genre entend identifier, montrant à la fois les permanences et les évolutions (les adaptations, les actualisations) de la représentation sexuée du monde. Le plus souvent, bien que cette perspective soit aujourd’hui débordée par une critique qui cherche à faire l’histoire du genre en dehors de la seule problématique du pouvoir, il s’agit de décrire les caractéristiques particulières des fondements culturels de la domination masculine pour un lieu, pour une époque, et d’en comprendre la reproduction.
L’histoire du genre consiste avant tout en un patient travail de collecte des visions et des divisions sexuées du monde et se présente comme une recherche fondamentale, en ce sens qu’elle veut révéler les assises des différences dans les rapports sociaux de sexe en dehors même, le plus souvent, des discours et des pratiques qui portent spécifiquement sur cette question.
C’est dans les années 1980 que l’historienne américaine Joan Scott proposait formellement, au carrefour du Linguistic Turn, du poststructuraliste et des études féministes, l’utilisation du concept de genre en histoire. Sans prétendre se substituer à l’histoire des femmes, cette Gender History offrait de placer les relations hommes/femmes, à travers leur fondement dans le rapport symbolique masculin/féminin, au coeur du questionnement historique.
La recherche n’a cessé depuis d’étendre sa curiosité, de la construction sociale des identités sexuées à différentes périodes historiques jusqu’aux processus d’affirmation et de diffusion des valeurs dites masculines (ou paternelles) et des valeurs dites féminines (ou maternelles), en passant par l’étude des comportements marqueurs d’identités sexuées, de la sexualité, de l’orientation sexuelle, de la culture populaire, des représentations artistiques, littéraires ou scientifiques de l’homme et de la femme, de la construction genrée de la nature, du paysage ou de l’environnement. De manière générale, le genre est de plus en plus articulé à d’autres marqueurs identitaires (classe, race, ethnie ou âge).
On peut distinguer en France plusieurs usages de l’histoire « du genre » et « des genres » :
- Une histoire comparée des hommes et des femmes. Dans toutes les périodes de l’histoire, et dans des contextes variés, sont analysées la construction des rôles et des identités sexuées et leurs représentations.
- Une relecture sexuée des événements et des phénomènes historiques tels que la Révolution française ou le processus d’industrialisation.
- Une analyse des enjeux concernant la division entre masculin et féminin et la construction de la hiérarchie des rapports sociaux.
- L’emploi au pluriel du mot genre ouvre sur l’histoire des masculinités (après avoir largement abordé la guerre, on étudie de plus en plus le quotidien des hommes, notamment dans le monde scolaire, sportif ou politique).
Le terme d’histoire mixte : l’exemple d’un ouvrage à l’usage du secondaire.
Geneviève DERMENJIAN, Irène JAMI, Annie ROUQUIER, Françoise THEBAUD ( coord), La place des femmes dans l’histoire - Une histoire mixte, Belin, 2010, 415 p.Réalisé à l’initiative de l’association Mnémosyne, l’ouvrage se présente comme un manuel d’histoire mixte à l’usage des enseignants du primaire et du secondaire. Ce manuel d’histoire, richement illustré, qualifié par les auteurs « d’ouvrage professionnel», présente une vision genrée de l’histoire. Il met l’accent sur les rapports entre les hommes et les femmes au fil du temps, dans des aires géographiques variées. Il répond ainsi au programme d’histoire de seconde (BOEN, 19 avril 2010) qui « place clairement au cœur des problématiques les femmes et les hommes qui constituent les sociétés et y agissent. Le libre choix laissé entre plusieurs études doit permettre en particulier de montrer la place des femmes dans l’histoire des sociétés ». L’enjeu essentiel de ce manuel est d’accompagner un changement de regard, incluant la dimension genrée de l’histoire et de contribuer ainsi à améliorer les relations entre filles et garçons dans une « cité mixte », pour reprendre l’expression de Michelle Perrot, auteure de la préface de l’ouvrage. Elle constate que si l’histoire des femmes est un champ de recherche désormais bien reconnu, son enseignement reste encore marginal au sein du secondaire.
En complément des ouvrages déjà cités, quelques éléments bibliographiques sommaires :
- Les cinq volumes de l’Histoire des femmes en Occident, publiée sous la direction de Georges Duby et de Michelle Perrot en 1990-1991 rendent compte de ces approches et offrent une vaste synthèse.
- En 1998, Françoise Thébaud présente un bilan historiographique avec Ecrire l’histoire des femmes.
- Concernant la « gender history » : parmi les œuvres fondatrices du courant : Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir et bien évidemment Gender and the politics of history de Joan Scott (Columbia Univ. Press, 1988). Le mot « genre » se diffuse en France à partir des années 2000 (le premier colloque d’historiens qui utilise le terme se tient à l’université de Rennes 2 en 2002 : « le genre face aux mutations du Moyen Age à nos jours »).
- Revue Clio, histoire, femmes et sociétés et de Mnémosyne, l’association pour promouvoir l’histoire des femmes et du genre.
Histoire des femmes, histoire du genre, histoire mixte dans les programmes :
Introduction du programme d’histoire du C4 : « une approche globale des faits historiques doit éclairer à parts égales la situation, la condition et l’action des femmes et des hommes à chaque moment historique étudié : c’est donc une histoire mixte qu’il convient d’enseigner. »
4e : Thème 3 - Société, culture et politique dans la France du XIXe siècle
Conditions féminines dans une société en mutation
3e : Thème 3 - Françaises et Français dans une République repensée
1944-1947: refonder la République, redéfinir la démocratie.
La Ve République, de la République gaullienne à l’alternance et à la cohabitation.
Femmes et hommes dans la société des années 1950 aux années 1980 : nouveaux enjeux sociaux et culturels, réponses politiques.
Les « faits religieux » dans les programmes
Ce que le traitement des programmes permet aux élèves d'acquérir comme connaissance des faits religieux.
6e et début 5e : les fondements des religions
• L’univers culturel commun des Grecs : une religion polythéiste, sans livre sacré (mais une connaissance des mythes par les poètes), sans prophète, avec des temples, des cultes et des cérémonies étroitement liées au politique (c’est l’assemblée des citoyens qui décide par exemple du calendrier religieux).
• Rome du mythe à l’histoire : le rôle du mythe (de fondation)
• Naissance du monothéisme juif dans un monde polythéiste : un monothéisme, des prophètes, un livre sacré, des rituels, des lieux de culte, l’identité d’un peuple, les contextes de naissance du judaïsme
• Des chrétiens dans l’Empire : un monothéisme, un prophète, un livre sacré, des rituels, des contextes de naissance, des lieux de culte, une diffusion et une confrontation avec le culte impérial
• L’Islam : naissance, un monothéisme, un prophète, un livre sacré, des rituels, des lieux de culte, une aire de diffusion ;
5e : la place centrale du religieux dans des sociétés différentes. Le religieux est un facteur d'unité de chaque espace. Le pouvoir politique, incarné par un souverain, joue un rôle clé dans le domaine religieux :
• Byzance et le rôle du Basileus
• L'Empire carolingien et le rôle de l’Empereur
• Les empires musulmans et le rôle du Calife
• La société féodale
Fin 5e et 4e : la place de la religion dans la société et ses rapports avec le pouvoir sont questionnés : une remise en cause jusqu’à la Séparation (en France…)
• Humanisme, réformes et conflits religieux
• Les lumières et le développement de l’esprit scientifique
• La Révolution française
• La pensée scientifique du XIXe siècle continue à se dégager d’une vision religieuse du monde.
• Une culture républicaine progressiste et laïque
De l’usage des termes « guerre d’anéantissement » et « camp d’extermination »
Les programmes officiels (niveau 3e) :
Thème 1 - L'Europe, un théâtre majeur des guerres totales (1914-1945)
- Civils et militaires dans la Première Guerre mondiale.
- Démocraties fragilisées et expériences totalitaires dans l'Europe de l’entre-deux-guerres.
- La Deuxième Guerre mondiale, une guerre d'anéantissement.
- La France défaite et occupée. Régime de Vichy, collaboration, Résistance.
« Violence de masse et anéantissement caractérisent la Deuxième Guerre mondiale, conflit aux dimensions planétaires. Les génocides des Juifs et des Tziganes ainsi que la persécution d’autres minorités sont étudiés. »
L’usage du terme « guerre d’anéantissement » doit faire l’objet de la plus grande vigilance
En effet, ce terme suscite des questions au moins concernant deux aspects :
- Sur le plan chronologique : on ne peut en effet parler de « guerre d’anéantissement » pour l’Allemagne nazie avant juin 1941.
- Le risque est bien entendu de sombrer dans le relativisme absolu et la confusion totale. Il est par exemple hors de question de mettre sur le même plan des faits qui ne peuvent en aucun cas être comparés, comme l’extermination des Juifs et le bombardement de Dresde.
Sans développer l’argumentaire, on peut souligner deux mises au point essentielles :
- Annette Wieviorka propose une lecture rigoureuse du terme « guerre d’anéantissement » :
- La fiche ressource, Thème 1 - L’Europe, un théâtre majeur des guerres totales (1914-1945), effectue une mise au point très claire : La signature du pacte germano-soviétique, le 23 août 1939, sanctionne l’échec des diplomaties française et anglaise et rend la guerre pratiquement inévitable, Hitler ayant désormais les mains libres à l’Ouest. Déclarée le 3 septembre à la suite de l’agression allemande contre la Pologne, elle prend, avec l’attaque de l’URSS par Hitler le 22 juin 1941, la figure d’une « guerre d’anéantissement » sur le front de l’Est ; cette radicalisation est une des causes des génocides juif et tzigane. Les notions de guerre totale, de totalitarisme, de génocide, de guerre d’anéantissement devront être explicitées non pas comme des préalables, mais au fil de la progression du thème. Il conviendra de les interroger : plutôt que d’évoquer une guerre « totale », on montrera que la Première Guerre mondiale est en cours de totalisation (en différenciant les espaces et les moments de la guerre). Plutôt que de parler de « guerre d’anéantissement », on montrera l’interaction des fronts, la guerre sur mer, le conflit en Europe continentale qui, seul, répond partiellement à cette notion : c’est en effet au moment de la confrontation avec l’URSS que le projet complet d’anéantissement d’une nation et d’une idéologie entre dans les faits. Parmi les écueils à éviter, la fiche ressource précise : Appliquer le concept de « guerre d’anéantissement » à l’ensemble de la Seconde Guerre mondiale et oublier que le centrage sur l’Europe ne rend pas compte de l’ensemble des pays entraînés dans la guerre.
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De l’usage du terme « camp d’extermination ».
Que faut-il entendre par « camps nazis » ?
On peut rappeler que le concours du CNRD 2015 avait pour thème : « La libération des camps nazis, le retour des déportés et la découverte de l'univers concentrationnaire ». Le dossier pédagogique de la FMD qui présentait ce concours faisait un choix restrictif et décidait de ne retenir que les « camps de concentration et d’extermination relevant de la SS ». Etaient exclus les lieux de transit, les forteresses, les ghettos, les camps semi-ouverts ou fermés regroupant des travailleurs étrangers (dont le STO), ainsi que les camps de prisonniers de guerre.
Le dossier pédagogique de la FMD semblait donc convenir que ces deux termes, « camps de concentration » et « camps d’extermination », allaient de soi. Or, les choses apparaissent plus compliquées qu’il n’y paraît au premier abord, surtout pour les « camps d’extermination ». Il faut en effet rappeler que l’amalgame a longtemps existé entre déportation, phénomène concentrationnaire et génocide. De fait, la distinction entre « camp de concentration » et « camp d’extermination » n’a pas été d’emblée évidente, notamment auprès du grand public, et l’on sait par exemple que le film d’Alain Resnais, Nuit et brouillard, ignore largement la spécificité de la Solution finale, quand bien même il ne s’agit pas d’avoir une lecture anachronique de l’œuvre de ce cinéaste. Son film, qui demeure une œuvre majeure, est bien de son époque et correspond à la vision alors en vigueur puisqu’il a été réalisé en 1955 et que deux historiens, Henri Michel et Olga Wormser, ont joué un rôle essentiel dans sa genèse.
On constate donc que le terme de « camps d’extermination » ne va pas d’emblée de soi. Il faut en effet en faire l’histoire et savoir que le terme de Vernichtungslager - camp d’extermination – a été créé lors du procès de Nuremberg. Mais ce n’est que progressivement qu’il s’est imposé auprès du grand public, comme d’ailleurs dans les programmes scolaires en France, puisqu’il a fallu attendre près de 20 ans après la Seconde Guerre mondiale pour que l’étude de l’extermination des Juifs soit inscrite dans les programmes, à la rentrée 1962 [1].
Aujourd’hui, le terme de « camps d’extermination » est donc largement partagé. Pourtant, est-il finalement si bien choisi ? Cela est loin d’être certain. En effet, les spécialistes (et de plus en plus de manuels scolaires) évitent son usage dans la mesure où ces lieux ne sont pas des camps à proprement parler, car l’assassinat des déportés a lieu tout au plus quelques heures après leur arrivée. L’historien Johann Chapouteau rappelle que « rien n’est prévu pour loger les victimes : les centres d’assassinat ne sont pas des « camps », car on n’y demeure vivant que quelques heures au maximum »[2]. On préfèrera donc au terme de « camps d’extermination » celui de « centres d’extermination », « d’assassinat » ou « de mise à mort ».
On constate que la terminologie évolue constamment en lien avec la recherche. Il ne faut pas obérer non plus le fait qu’elle reste souvent un objet de controverse, comme le montre l’usage des termes d’Holocauste ou de Shoah, ce dernier s’étant imposé en France au détriment du précédent.
[1] Entretien avec Dominique BORNE, Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale, Comment parler d’Auschwitz à l’école, dans Les collections de L’Histoire, n°3, octobre 1998, p.108-109. Dominique Borne précise d’ailleurs : « dans le manuel que cosigne Fernand Braudel en 1963, si la problématique Résistance /Collaboration est déjà en place à propos de Vichy, il n’est presque pas fait mention de l’extermination des Juifs et des Tziganes ».
[2] CHAPOUTEAU (Johann), Le Nazisme, une idéologie en actes, La documentation photographique, dossier 8065, janvier-février 2012, 64 p.
Histoire et immigration
« Histoire et immigration » est un thème que l’on retrouve dans le cycle 4. Notamment dans le thème 3 de la classe de 3ème, au sujet des transformations de la société française dans la seconde moitié du XXe siècle. L’immigration est un objet d’histoire riche et complexe.
D’après le rapport « L’enseignement de l’histoire de l’immigration à l’école », INRP, octobre 2007 Benoit Falaize (dir), Olivier Absalon et Pascal Mériaux.
Extrait du résumé du rapport : « Beaucoup de pratiques reposent, ou prennent appui, à un moment ou un autre, sur les familles des élèves présents dans la classe, pour évoquer l’histoire et les mémoires de l’immigration. Ces pratiques sont cependant l’objet de prudence, de craintes parfois, afin de ne pas heurter la part du privé qu’elles mobilisent. Dans les pratiques de classe, de l’école primaire à la Terminale, en cours d’histoire comme en Lettres ou en Sciences économiques et sociales, il est d’usage fréquent de demander aux élèves de dire leur “origine”, “d’où ils viennent”, leur “pays d’origine”. Cet usage est d’autant plus fréquent qu’il s’appuie sur la volonté de rendre compte d’une particularité que les enseignants souhaitent valoriser. Plus que cela, cette particularité devient objet d’enseignement. Dans certains cours on enseigne l’histoire de l’immigration, et dans d’autres, et parfois dans les mêmes, s’opère une inversion de l’ordre scolaire, du rapport pédagogique, où ce n’est plus l’enseignant qui apprend aux élèves un contenu disciplinaire, mais bien l’élève qui apprend aux “autres” (les élèves de sa classe, l’enseignant…) une partie de son histoire de l’immigration. Les enseignants retournent le stigmate de l’élève (“issu de l’immigration”, “maghrébin”, “musulman”, “immigré”, “d’origine différente”…) pour valoriser la différence et la richesse que cette “origine” (comme par magie) était supposée lui octroyer. Il se n’agit ni plus ni moins d’une déconsidération sociale reconsidérée scolairement, comme une réhabilitation symbolique. Comme on créerait une “stigmatisation positive” en quelque sorte ».
Divers constats peuvent être effectués à la lecture de ce rapport
• La question de l’histoire de l’enseignement de l’histoire de l’immigration est récente dans le cursus scolaire français (environ des années 70).
– Jusqu’aux années 80 et 90, l’immigration est un thème qu’impose l’urgence du présent, par les conséquences ressenties du regroupement familial : l’accueil des enfants d’immigrés.
– À aucun moment, dans ces années, dans aucun document officiel, l’immigration n’est envisagée comme un thème d’étude en lui-même et dans son historicité.
= « Cette confusion entre ce qui relève de l’histoire de l’immigration et de la gestion effective des élèves issus de l’immigration persiste aujourd’hui encore à tous les échelons du système éducatif, dans les pratiques comme dans les représentations de ses agents ».
• La constitution de la Mission de préfiguration de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration a favorisé un débat, peu présent auparavant.
• L’histoire de l’immigration occupe une faible place dans les programmes scolaires.
• L’histoire de l’immigration occupe une faible place dans les manuels scolaires, même s’il y a des avancées.
– L’histoire est sollicitée anecdotiquement : l’image des immigrés alterne entre le rôle de victimes et de héros (surtout sportifs) quand ceux-ci ne sont pas tout simplement invisibles.
– Des avancées existent cependant, les dimensions sociales apparaissent.
• Il règne une confusion entre ce qui relève de l’histoire de l’immigration et ce qui relève des questions de sociétés, liées à l’immigration
– Ce thème est souvent appréhendé sous l’angle moral, où le racisme, l’apprentissage de la tolérance et du respect d’autrui sont la pierre angulaire du travail pédagogique.
– Les enjeux scolaires d’aujourd’hui sont en lien avec les questions les plus vives de la société : celles qui touchent à l’identité de la France, à son passé et à son devenir.
• La question coloniale est au cœur des préoccupations enseignantes, avant l’histoire de l’immigration. Il y a parfois confusion entre ces deux objets.
– Lorsque la colonisation est sollicitée, c’est plus du point de vue d’une mémoire traumatique que d’un point de vue historique permettant de resituer la spécificité de ce lien historique. Parce que les enseignants pensent que les élèves sont dépositaires d’un passé et d’une mémoire coloniaux.
– Les questions liées au phénomène migratoire en contexte colonial (spoliation des terres, exode rural, prolétarisation, exil) sont rarement abordées, alors qu’elles participent à l’explication historique de l’émigration coloniale, transformant les émigrés dépossédés et déracinés de l’empire en immigrés prolétaires en métropole.
Pour une histoire du « fait migratoire » et l’étude de « l’expérience migratoire »
• Suite aux divers constats, on peut border notre appréhension de cet objet d’enseignement
– C’est un sujet qui concerne toutes les classes et qui s’intègre à des problématiques claires du programme : ce n’est pas le terrain d’exercice ou les élèves (en fonction de l’étiquetage qui pourrait leur être appliqué) qui doivent « commander » à l’enseignement du fait migratoire, mais bien les programmes nationaux et l’existence même de ce fait.
– Prendre en compte des idées préconçues et des facilités de raisonnement ou de pratiques propres à cet objet et qui réduisent toute analyse historique.
Une période soi-disant heureuse de l’immigration
- La permanence du discours sur la « réticence à l’assimilation »
- « L’immigration- souffrance »
- Les difficultés d’étiquetages des documents, sources, etc. servant à l’enseignement de l’histoire de l’immigration
– La nécessité de bien maîtriser la périodisation et la chronologie des divers moments migratoires, ainsi que le vocabulaire et les notions qui restent parfois à repréciser : un migrant, sans-papiers, réfugié, demandeur d’asile, etc.
– Une particularité ou du moins un trait saillant : les périodes d’immigration représentent des « expériences » sans cesse renouvelées.
– L’étude du fait migratoire, ou de « l’expérience migratoire », à l’instar du fait colonial, peut s’étudier sous divers angles : l’histoire culturelle, les liens aux pays d’origine, les contacts et métissages, l’histoire du genre, etc.
• Une ressource : http://www.histoire-immigration.fr/
– Des repères : documents et ressources, des questions traitées, un glossaire très utile, des thématiques = Un site très riche, notamment à partir de l’onglet « Histoire de l’immigration ».
Histoire du fait colonial
L’histoire de la colonisation est abordée dans les programmes à deux moments importants : dans le thème 2 de la classe de 4ème, au sujet des « conquêtes et sociétés coloniales », et dans le thème 2 de la classe de 3ème, concernant cette fois-ci « L’indépendance et la construction de nouveaux États ».
L’histoire du fait colonial a connu un profond renouvellement par un élargissement et une diversification des questionnements
Prendre en compte les évolutions historiographiques
• Au cours des années 1980 et 1990, l’histoire du fait colonial est marquée par une sorte « d’émiettement » et un renouveau. De nouveau paradigmes et démarches se développent. Le concept de « Tiers-monde » s’est usé, le paradigme n’est plus pertinent face à des « Suds » en pleine diversification. Il y a en outre l’émergence d’une histoire écrite par d’autres acteurs, le groupe des Subaltern studies à Delhi, au début des années 1980 par exemple ou l’essor des African Studies aux États-Unis.
• L’histoire du fait colonial revêt un enjeu épistémologique d’importance : celui d’écrire « notre histoire » et/ou celle « des autres ».
De nombreux champs sont explorés
L’histoire de la colonisation fait place à l’histoire du fait colonial permettant de s’ouvrir à la complexité et diversité de l’expérience coloniale. Ainsi, depuis les années 1990 de nouveaux axes et champs d’études ont généré un renouvellement des regards.
• Sur les sociétés coloniales générées par le processus de colonisation.
• Sur l’histoire politique qui amène à reconsidérer les nationalismes des années 1950-60 en s’intéressant aux diasporas, aux minorités, aux constructions identitaires, les situations de dominations.
• Sur des groupes et acteurs sociaux tels les femmes, les esclaves, les marginaux, les minorités, les élites, les anciens combattants, les jeunes, etc. que l’histoire culturelle fait ressurgir.
• Sur l’étude renouvelée de l’impact de la colonisation.
• Sur les liens entre territoires colonisés et métropole. Les systèmes coloniaux ont reposé sur des échanges économiques spécifiques, sur la circulation des hommes entre métropoles et colonies, mais aussi sur des constructions idéologiques.
• Sur de nouvelles méthodologies et démarches : d’autres sources comme les témoignages comme sources orales, les sources littéraires, iconographiques, les discours scientifiques, etc.
• Sur la place de la séquence historique que représente ce processus dans l’histoire nationale des pays concernés.
• Sur le système généré par l’oppression et ses formes violences, les inégalités, les rencontres et ses métissages, etc.
• Sur l’histoire globale qui insère le fait colonial dans les problématiques de l’histoire de la mondialisation et l’histoire connectée des divers espaces civilisationnels de la planète.
L’expérience coloniale
• L’histoire du fait coloniale intègre le champ de l’histoire culturelle ou politique. On s’éloigne de l’étude de la colonisation comme ange d’étude de la puissance européenne. Elle questionne de nouveaux acteurs, intègre de nouvelles problématiques à l’échelle mondiale et profite d’une demande sociale accrue à son sujet. L’histoire du fait coloniale débouche sur l’étude de « L’expérience coloniale ».
• La société coloniale : Selon l’IHTP, une société coloniale est marquée par les rapports de domination qui reposent sur l’encadrement normalisé par la puissance colonisatrice, le contrôle dans le temps de cette même société et des moments de répression.
• Monde colonial : permet d’aborder les espaces concernés par le phénomène colonial sans les restreindre géographiquement à une colonie particulière. Cette expression permet aussi de désigner l’environnement social, politique, économique et culturel créé par la colonisation, y compris en métropole. Cet environnement y était effectivement reproduit, par le statut juridique des colonisés qui s’y étaient installés, les représentations qu’ils suscitaient, l’encadrement dont ils étaient l’objet.
Le raisonnement en histoire
Source : Cette mise au point se base sur les travaux du GFA de l'Académie de CAEN
Postulat de départ : le raisonnement est « éducable ».
Une définition générale du raisonnement (Cntrl.fr)
• C’est la faculté d’analyser le réel, de percevoir les relations, de comprendre les faits. Exercice de cette faculté.
• Une opération qui consiste à lier deux propositions pour en former une troisième (ou conclusion) au moyen de règles logiques.
- Des types de raisonnement : par analogie, déductif, hypothético-déductif, inductif.
- Domaines d’application du raisonnement (raisonnement historique).
• C’est le produit, le résultat de l’action de raisonner : ensemble des arguments issus d’une réflexion et qui ont pour but de convaincre ou de démontrer.
• C’est une suite logique de propositions aboutissant à une conclusion.
• On peut considérer à la suite de J.P. Astolfi que le raisonnement consiste à passer de l’information extérieure à un savoir personnel maîtrisé.
• Cette opération est éminemment individuelle, car chaque élève enfant raisonne de manière différente.
Le raisonnement historique
• L’histoire relève du raisonnement « naturel », mais les démarches historiennes de la compréhension, de l’explication et de la conceptualisation sont spécifiques
- Raisonnement par analogie avec le présent et l’expérience et transfert vers le passé des modes d’explication
- Spécificité du raisonnement historique : mise à distance et contrôle du raisonnement naturel par des opérations d’historisation : critique des sources, contrôle du raisonnement analogique par contextualisation, périodisation, construction d’entités historiques
- Le raisonnement s’appuie sur des faits et des concepts historiques. Ceux-ci sont une généralité incomplète, empirique et contextualisée. Une description résumée, une énumération de traits communs à diverses situations historiques. Ex : monarchie absolue / totalitarisme (cf. Passeron)
Raisonner en histoire
• Raisonner en histoire, penser en histoire ce n’est pas se contenter d’amasser, mémoriser et restituer des connaissances selon L de Cock.
• C’est assumer que le passé est nécessairement recomposé par le biais d’une méthode scientifique propre, qu’il est circonscrit dans une historicité qui lui est propre et qu’il soulève des enjeux mobilisables au présent. C’est un construit du présent.
• Pour l’équipe de Caen, raisonner c’est passer de l’information à la production d’un savoir.
– Selon le schéma d’Astolfi qui distingue l’information (objective et extérieure, communicable) de la connaissance (subjective, résultant de l’expérience individuelle) et du savoir (construit par mise en relation de l’information et de la connaissance).
– Le raisonnement en histoire suppose donc une reconstruction pour passer de l’information au savoir.
– Il n’y a pas de raisonnement proprement historique, mais des objets ou démarches spécifiques qui font appel à des opérations de raisonnement plus génériques : identification, mise en relation, généralisation.
• C’est aussi des « compétences travaillées » tout au long des cycles. cf. Programmes.
Comment faire raisonner les élèves ?
= Prendre en compte les points précédents a des implications pédagogiques multiples
• Cela suppose de mettre les élèves en situation de production et de communication, car le raisonnement n’est pas de l’ajout de connaissances, mais une réorganisation de celles-ci.
– Placer les élèves dans des situations de conflit sociocognitif (donc du travail de groupes) pour produire du raisonnement.
– Placer les élèves devant des tâches complexes, qui vont les obliger à choisir et mobiliser des ressources diverses.
– Faire construire aux élèves des « concepts » (plutôt des idéaux types weberiens).
– Ne pas oublier que l’on ne peut raisonner en histoire sans connaissances.
– Créer des situations d’apprentissage et des dispositifs pédagogiques dans lesquels les élèves sont en en activité et en situation de production et/ou de communication, pour :
- mettre en œuvre un raisonnement,
- vérifier s’il y a eu ou non raisonnement
- valider le fait qu’un élève ait construit son propre raisonnement et d’améliorer ses capacités en la matière.
• Le dispositif pédagogique propre à favoriser le raisonnement doit pouvoir :
- répondre à des objectifs de contenus précisés en amont, via un problème posé,
- penser aux outils mobilisables pas les élèves pour réaliser la tâche qui leur est assignée,
- amener les élèves à conclure leurs tâches et travaux,
- accepter les erreurs comme composantes essentielles de l’apprentissage et du raisonnement.
• Faire raisonner en histoire au travers des programmes, c’est faire que les élèves soient en situation :
- d’interroger les traces du passé, sources, des documents via un questionnement pertinent,
- de questionner l’Homme en société : civilisation, culture, représentations, etc.,
- de parcourir et étudier des récits, des mémoires, des patrimoines,
- de s’interroger sur le temps et les temporalités : structure/conjoncture, la longue durée, les ruptures et continuités, les permanences, les crises et mutations,
- de reconnaître et mobiliser des notions et concepts afin de donner du sens à des cadres chronologiques et spatiaux,
- de repérer acteurs, évènements et processus, mais aussi : d’apprendre à contextualiser, de pratiquer un regard décentré.